Montasser Jabrane, créateur de Handycatch : « l’entrepreneuriat, c’est un truc de pirate »

Montasser Jabrane, 35 ans, travaille sur son application Handycatch.

Vous l’avez peut-être entendu sur BFM Business, ou vu dans un reportage de Streetpress. À 35 ans, Montasser Jabrane s’est fait un nom dans le domaine de l’innovation, grâce à son application nommée Handycatch, « le pokémon-go de l’emploi. » Zoom sur une success-story hors du commun.

Montasser passe les portiques de sécurité de Station F, trempé de la tête aux pieds. Il fait un check au lieu de serrer la main car « fauteuil et pluie ne font pas bon ménage. » Handicapé depuis la naissance dû à une erreur médicale, ça n’a pas empêché ce start-upper de créer une entreprise qui vaut aujourd’hui 2 millions d’euros. Dorénavant, il travaille dans le plus grand campus de start-up au monde. « Il y a des gens de mon quartier, quand tu leur dit que tu vas à Station F, on dirait tu vas sur la lune » s’étonne Montasser, en évoquant son quartier à Nanterre, dans le 92. 

Situé dans le 13ème arrondissement de Paris, l’ancienne halle Freyssinet est devenue en 2017 un gigantesque incubateur, sur l’initiative de Xavier Niel. Aujourd’hui, ce lieu emblématique regroupe 1000 start-ups. Et les groupes de start-up sont divisées en guildes, « comme dans les jeux vidéos », souligne Montasser tout en se dirigeant vers la machine à café. Cette dernière étant entourée de jeux d’arcades, le lieu fait effectivement penser à un repaire de gamers. Ici, Montasser semble connaître tout le monde. En même temps, il y travaille depuis 2018.

Né pour inventer des choses utiles

D’aussi loin qu’il se souvienne, l’innovation, ça a toujours été son truc. À 12 ans, il visionne le film de science-fiction À l’aube du sixième jour, avec Arnold Schwarzenegger. Y voir des frigos qui parlent est une révélation : ce qu’il doit faire, c’est inventer. Mais pas n’importe quoi. Il s’agit d’inventer des choses utiles. 

Alors, pour commencer, il se lance dans un bac STT (l’ancêtre du bac STMG). « Il est décrié, mais c’est le meilleur bac pour les entrepreneurs, affirme Montasser. Gestion, comptabilité, communication… On t’y enseignes tout ce dont tu as besoin pour démarrer. » Il enchaîne sur un BTS informatique-gestion, et enfin un master en Ressources Humaines. Puis une idée commence à germer dans son esprit logique : créer un fichier Excel, avec juste un bouton pour afficher toutes les adresses de recruteurs dont on a besoin… Ce serait tellement plus pratique pour trouver du travail. Car la galère du recrutement, Montasser ne la connaît que trop bien. 

Le handicap, première cause des discriminations en France

La France de 2023 compte 7,7 millions de personnes en situation de handicap, selon la Dress. Et en 2022, 37% de ces personnes en situation de handicap déclaraient avoir subi une discrimination au cours d’une recherche d’emploi, contre 16% pour l’ensemble de la population.

Un peu moins de vingt ans après la promulgation de la loi pour l’égalité des droits et des chances, le handicap reste la première cause des discriminations en France. Elles se manifestent dans tous les aspects de la vie quotidienne : manque d’accès aux services publics, aux transports en commun, aux structures de santé et d’enseignement, aux logements, aux activités de loisirs… Sans oublier la discrimination sociale, sous forme de stigmatisation ou de préjugés qui peuvent conduire à l’isolement. 

« Ils (les valides) partent du principe qu’on est nul » témoigne Montasser avec une pointe d’amertume. Il se souvient des moments où on le prenait pour un stagiaire, alors qu’il était déjà CEO de Handycatch depuis trois ans. Essuyant les infantilisations d’un revers de main, Montasser est toujours resté focalisé sur un seul objectif : être le meilleur. Car « l’entrepreneuriat, c’est un truc de pirate. »

Comme évoqué quelques lignes plus tôt, Montasser vit à Nanterre. Il assure, avec une certaine fierté, que la débrouille a précédé sa réussite. Car quand on lance son entreprise, pour débloquer 15 000€ de fond d’aide de la BPI (Banque Publique d’Investissement) et de la région Île-de-France, il faut montrer… Qu’on a déjà 15 000€. Ainsi, on démarre son activité avec 30 000€. Une somme non-négligeable, surtout lorsqu’on n’est pas aidé par sa famille.

C’était le cas de Montasser, qui a dû trouver des alternatives. En cherchant, il est tombé sur l’Agefiph (l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées), un organisme qui aide les personnes en situation de handicap à démarrer leur entreprise. Grâce à cela, il a bénéficié d’une aide à la création de 5000€. Mais il a aussi fait partie des 200 lauréats de la French Tech Tremplin, ce qui lui a permis de financer une partie de son ingénieux projet.  

Montasser Jabrane, entrepreneur, travaille sur son application HandyCatch.
Le start-upper ingénieux travaille sur un autre projet utilisant la même technologie que celle de Handycatch.

Un recrutement « passif » démodé 

Selon Pôle Emploi, 88% des demandeurs d’emploi utilise internet dans leur recherche. Le recrutement se passe ainsi : on clique mollement sur des offres d’emploi, et… On attend. C’est trop passif pour Montasser, qui voudrait que le recrutement soit un moment plaisant, et ludique. Comme quand on est sur les réseaux sociaux. « L’idée a commencé à germer dans ma tête en 2017. À l’époque, c’était les débuts de Snapchat, et les gens commençaient à se décomplexer avec leur image. »

Il imagine alors une application qui, grâce au géofencing, permet de faire matcher des candidats et des recruteurs. « Cela permet aussi d’être sur un même pied d’égalité, s’exclame Montasser. Souvent, c’est le recruteur qui a le pouvoir, et le recruté qui se plie en quatre pour être pris. Alors que sur Handycatch, le recruté se présente comme quelqu’un qui a des compétences, et qui a une véritable plus-value à apporter à l’entreprise. »

Lorsqu’il a pitché son projet à la fac de Nanterre en 2018, sa prof n’était pas convaincue que les personnes allaient vraiment « courir après un emploi. » Ce à quoi Montasser rétorque « les gens courent bien après des pokémons. » Le slogan était né : Handycatch, le Pokémon Go de l’emploi. Car Montasser l’assume : il « surfe sur la hype. » Toutes les dernières tendances, il se les approprie, et sait les rendre encore plus appétissantes. « Pour que ton produit fonctionne, il faut qu’il ait les 3 U : utile, utilisé, utilisable », assène Montasser, sûr de lui.

Néanmoins, pour que le produit se vende, le vendeur doit aussi être crédible. Et quoi de mieux que de bénéficier de l’aura des personnes déjà médiatisées ? Une stratégie testée et approuvée par l’entrepreneur ambitieux : « il faut oser. » Au salon Vivatech en juin dernier, Montasser s’est adressé à différentes célébrités, telles que le footballeur international Blaise Matuidi, l’homme d’affaires Maurice Levy ou encore le PDG de LVMH et homme le plus riche du monde, Bernard Arnault. Chaque rencontre est transformée en post LinkedIn, car c’est ce qui lui assure de la visibilité. 

« Dans la vie, il y a deux types de personnes : ceux qui font, et ceux qui regardent. »

Lorsque Montasser raconte son histoire, il omet presque de parler de ses moments de découragement. Pourtant, il y en a eu. Certains disaient que son projet était trop démesuré, d’autres que son application n’avait rien de révolutionnaire. Si ces critiques ont pu le toucher sur le moment, elles ne l’ont pas abattu. Car Montasser en est persuadé : « Dans la vie, il y a deux types de personnes : ceux qui font, et ceux qui regardent. »

Et le trentenaire s’est donné pour mission de changer la vie quotidienne d’au moins une personne par jour, alors pas le temps pour l’oisiveté. Son nouveau projet, c’est HandyDuty. Cette nouvelle application, qui sortira en septembre, permettra de vendre ses services à des personnes qui en ont besoin. Il travaille de concert avec l’entrepreneuse Malika Oubahmane, qui est elle-même en situation de handicap lourd. « On a voulu résoudre son problème », explique Montasser, le regard brillant de détermination. Car ce qu’il l’insupporte, c’est de voir que « aujourd’hui, en France en 2023, il y a encore des gens qui ne peuvent pas se lever à l’heure qu’ils veulent. » 

Grâce à HandyDuty, les personnes en situation de handicap pourront trouver en temps réel des services de tierce-personne, de technicien pour réparation de fauteuil roulant, ou encore de Uber. En effet, les VTC adaptés aux personnes en situation de handicap sont plus cher que les autres. Par exemple, la location (pour 4 heures) d’un VTC adapté aux personnes en fauteuil roulant coûte 290€, tandis qu’un VTC lambda coûte 200€.

« Imagine, on part à New-York pendant un mois, explique Montasser, toujours avec sa logique implacable. Et pendant un mois, tous les jours, tu dois t’occuper de moi. Et un jour, on s’embrouille. Et t’as pas envie de m’aider. Et moi j’ai pas envie de te demander ton aide non plus. C’est là qu’HandyDuty entre en jeu. Tu veux pas m’aider ? Ok, pas grave, y’a plein de gens autour de moi qui peuvent le faire. »

Car Montasser le sait mieux que personne : l’autonomie, pour les personnes non-valides, est la chose la plus précieuse au monde. A-t-il trouvé le moyen de rendre les personnes en situation de handicap plus autonome ? L’avenir très proche nous le dira. 

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